MANOEUVRES DE DECONFINEMENT PSYCHIQUE

Notre réflexion nous a conduit à concevoir cinq manœuvres psychiques permettant de ne pas se laisser abattre par le confinement, mais de le traverser activement et positivement jusqu’au total déconfinement. 

Dans le contexte d’une pandémie, se manifeste l’appréhension d’un danger invisible, mystérieux, irréel et potentiellement mortel. Il correspond à un traumatisme sourd, subi, insidieux, imminent déterminé par une menace invisible, intemporelle où tout pourrait basculer en un instant. 

Les dimensions de l’altérité, des limites entre soi et l’autre, des dangers associés au contact, à la proximité et à la relation sont mises en avant. 

Il s’agit d’un stress que nous qualifierons de per traumatique: ‘’ car il anticipe sur une  période indéterminée un danger qui peut toucher chacun de nous’’, différent du stress post traumatique lequel est déterminé par un évènement individuel ou collectif brutal, impliquant un avant et un après, une sidération, des attaques de panique, un ressenti violent et des symptômes physiques et psychiques de l’angoisse, comme cela a pu être le cas lors de l’annonce du confinement. 
 
Associé à la peur de la mort, d’être contaminé, de transmettre la maladie, de l’avenir (professionnel et sociétal), le confinement renvoie à l’enfermement voire pour certains à la séquestration ou aux régimes totalitaires, aux périodes de guerre, prisons, épidémies/maladies et à la vie monacale. Tel une caisse de résonnance, il provoque des effets sur l’équilibre mental et émotionnel. Sensé protéger alors qu’il génère des troubles, d’autant plus qu’il sert également d’alibi pour procrastiner, éviter….
 
Les 5 gestes barrières renvoient à des mécanismes phobiques et obsessionnels sur un fond de paranoïa (le danger c’est l’autre), de culpabilité (contaminer les autres) et de possible dissociation (le danger est invisible, irréel).

Les rapports au danger (à la mort), à soi-même, aux autres, à l’espace et au temps se trouvent remis en cause. Pour chacun d’eux, nous examinerons à la fois le paradoxe de la situation actuelle, avec ses traquenards mais ses possibles perspectives.   

 

Une manœuvre inaugurale de prise de conscience 

1- En effet, nous vivons désormais sous une menace de mort, prégnante, insoupçonnable et indéterminée. Cette angoisse légitime, il s’agit de l’apprivoiser en assumant que le phénomène nous dépasse, sans que cela nous anéantisse comme une cible impuissante à laquelle les gestes barrière (essentiellement de l’ordre de l’évitement), peuvent donner une illusion de contrôle. Il reste toutefois une marge de manœuvre pour éviter de tomber dans le piège d’un imaginaire sans cesse malmené par les informations et l’amplification des médias.


Une mise en observation de soi-même.

2- Le rapport à soi, au-delà des réactions défensives, demande de discerner ce qui se passe, d’être attentif et bienveillant, de s’interroger sur ce qui signifie ‘’d’être vivant’’, sur le sens de sa vie.  Se centrer sur soi et vivre le présent ont le mérite de ne pas se laisser submerger par la confusion. Ainsi se sont probablement inscrites en nous de subtiles modifications, qu’il nous appartiendra d’intégrer car garantes de l’évolution personnelle. Mais si l’on supporte trop bien le confinement comme une sorte de bulle, le déconfinement risque d’être vécu comme un difficile retour au quotidien. 


Un contrôle des barrières intimes

3- La remise en cause du rapport à l’autre, qu’il soit présent ou à distance, engendre la nécessité de réinventer ses limites, éventuellement de ‘’les durcir’’ face au piège d’une ‘’mise à disposition’’, ‘’ à la merci’’ de l’autre, envahi par ses demandes, flot de paroles ou plaintes réitérées ou contraire d’être plus perméable, plus réceptif et de s’autoriser à écouter et à dire… 

Au niveau des couples, il faut éviter que l’impossible n’atteigne la violence de l’insupportable. De la crainte de l’intrusion, de l’abandon et de la solitude à l’écueil de la transparence (du ‘’tout se dire’’), il s’agit de ‘’dépasser la peur’’ et d’apprendre à trouver un espace d’intériorisation et d’insight pour comprendre et apprendre sur soi et l’autre, sans se laisser aller à trop s’inquiéter si l’autre semble ‘’prendre le large...’’ 

 

Apprivoiser le temps

4- Ce temps confiné peut se vivre comme dilaté, autorisant des initiatives et rendant le confinement presque ‘’libératoire’’, ou comme restreint, distordu bridant le désir, ou encore comme suspendu, ‘’arrêté’’ et engendrant l’ennui, lequel s’avère parfois fertile… 

Le rapport au temps confiné se traduira parfait par des conduites allant d’une dépendance (aux jeux vidéo, aux médias, aux psychotropes ou aux substances illicites…) à la création : redéfinition de soi-même. Les symptômes liés au confinement se traduisent par une addiction au virtuel (rapport au vide, à l’absence, au manque), un renforcement de la procrastination, la ‘’peur de l’autre’’, des craintes face à l’imprévisible temporalité d’un danger presque irréel. Certains au contraire redeviendront ‘’maître de leur temps’’ par exemple en le structurant et l’organisant dans le quotidien ; en osant rêver à ‘’l’après’’; en laissant des traces (journal, notes, photos, vidéo…) 

 

Recréer un espace intérieur

5- Les questions des limites (imposées, à poser), du contrôle subi ou que l’on fait subir, du respect ou de de la transgression des règles et des modifications possibles se trouvent mises en évidence. 

L’espace confiné peut être vécu comme une protection, une punition, voire pour certains une prison ou comme une bulle, une parenthèse.  Espace familier et havre protecteur, il risque néanmoins de se peupler de monstres et de cauchemars. Face au surcroit de règles posées à l’extérieur, il s'agit d’inventer les siennes au sein de son espace privé, de découvrir un territoire psychique à explorer avec une liberté plus profonde jusqu’alors contrainte par notre cadre routinier.  


CONCLUSION  

Si la mission de sauver des vies grâce au confinement est justifiée, il paraît opportun de considérer que le déconfinement soit accompagné d’un déconfinement psychique salutaire au niveau individuel.   

Les dimensions concernées par les cinq manœuvres sont entremêlées, elles accompagnent un déconfinement progressif et relatif où tant de paramètres restent à désintriquer.  Et notre espace mental restera d’autant plus contaminé qu’il sera concentré sur l’autre, l’inconnu plus que sur ce que le virus peut nous apprendre sur nous-même. Avec un retour à la réalité qui ne sera plus tout à fait la même.

Être vivant n’empêche pas d’être mortel, ni être mortel d’être vivant.

 

Gérard Tixier et Flamine DE BONVOISIN